Quai de gare
C'est au beau milieu de la foule qu'il fallait faire ses adieux,
On se croirait jour de noces, pour le moins à kermesse.
Se presse sur le quai, par ce jour de soleil radieux,
Un cortège bigarré qu'on dirait sorti de la messe.
Autour de chaque uniforme la famille fait grappe.
Pantalon rouge garance et capote gris de fer bleuté,
L'habit est un mensonge, un leurre, une attrape,
Une tenue de parade aux couleurs du déni et de la cécité.
Des pères, des mères, des épouses et des maîtresses
Espèrent un sourire, quémandent un regard.
Noyés dans la masse, pas un signe de détresse,
Pas un pleur, pas un soupir n'ont passé le hall de la gare.
Les drapeaux flottent, le drapeau crâne. Et ça chante et ça crie.
Le même drap, de ses trois couleurs cachera les cercueils.
Les clairons jouent, le clairon sublime. Et ça fanfaronne et ça rit.
Le même cuivre, de ses quatre notes ouvrira le deuil.
Le train s'arrache, le train s'ébranle. Et ça fume et ça grince.
Il emporte avec lui nos espoirs et nos princes.
Le temps s'arrête, le temps s'éteint. Et ça hurle et ça prie.
Faîtes que mon enfant revienne de cette boucherie.
Parce que les hommes se lâchent la main et brisent la ribambelle,
On a toujours à craindre qu'au bout de leurs passions ils s'égarent.
Que nos existences sont douces, que notre vie est belle,
Qu'elle nous préserve à jamais de perdre nos fils sur un quai de gare.